THÉOLOGIE NÉGATIVE

THÉOLOGIE NÉGATIVE
THÉOLOGIE NÉGATIVE

Il serait peut-être préférable de parler d’apophatisme (du grec apophasis , négation) ou de méthode aphairétique (du grec aphairesis , abstraction) plutôt que de théologie négative. Car, si l’on appelle traditionnellement «théologie négative» une méthode de pensée qui se propose de concevoir Dieu en lui appliquant des propositions qui nient tout prédicat concevable, il devrait en résulter logiquement que la théologie négative niât de son objet la divinité même, puisqu’il s’agirait encore d’une détermination concevable. Le mot «théologie» (c’est-à-dire «discours sur Dieu») ne se justifierait plus. Le terme d’apophatisme, au contraire, a l’avantage de ne désigner que le sens général d’une démarche de l’esprit visant une transcendance à travers des propositions négatives. Cette démarche apophatique, dont la théorie est déjà en germe chez Platon, a été systématisée dans la tradition platonicienne, puis dans la théologie chrétienne, dans la mesure où celle-ci est l’héritière du platonisme. Mais on en découvre l’existence dans d’autres courants de pensée, même dans le positivisme logique de Wittgenstein ou dans la philosophie de Jaspers. Cette extension de l’apophatisme peut s’expliquer par la condition propre au langage humain, qui se heurte à des limites insurmontables s’il veut exprimer par le langage ce qui s’exprime dans le langage: l’apophatisme est un signe, un chiffre, de l’indicible mystère de l’existence.

Méthode d’abstraction et intuition intellectuelle

Pour être encore plus précis, il vaudrait mieux parler de méthode aphairétique que de méthode apophatique, au moins pour la période qui s’étend jusqu’au IVe siècle après J.-C. Pendant tout ce temps, la théologie négative a été plutôt désignée par le terme aphairesis , qui désigne une opération intellectuelle d’abstraction, plutôt que par le terme apophasis . C’est précisément pourquoi il est difficile de définir avec clarté l’exacte situation épistémologique de la théologie négative dans l’Antiquité. En effet, dans la tradition de l’ancienne Académie et chez Aristote, la notion d’aphairesis est extrêmement complexe et les modernes ont beaucoup discuté sur la véritable nature de l’abstraction aristotélicienne. En tout cas, aussi bien dans l’Académie que chez Aristote, la noesis consiste dans l’intuition d’une forme ou d’une essence et cette saisie de la forme implique un retranchement de ce qui n’est pas essentiel: c’est le propre de la pensée de pouvoir effectuer cette séparation. Cette méthode de séparation et de retranchement, c’est précisément l’abstraction; elle est tout spécialement utilisée par ces philosophes pour définir les entités mathématiques: par le retranchement de la profondeur, on définit la surface; par le retranchement de la surface, on définit la ligne; par le retranchement de l’étendue, on définit le point. Cette opération de l’esprit permet ainsi, d’une part, de définir la quantité mathématique en tant que telle, d’autre part, d’établir une hiérarchie entre les réalités mathématiques, en allant de la tridimensionnalité spatiale à l’incorporéité de l’unité première. Or cette opération de retranchement peut se concevoir, dans une perspective logique, comme une opération de négation. On peut se représenter l’attribution d’un prédicat à un sujet comme une addition et la négation de ce prédicat comme le retranchement de cette addition. C’est pourquoi la méthode d’abstraction a pu être considérée comme une méthode négative.

Cette abstraction est un véritable mode de connaissance. On retranche et on nie un «plus» qui s’est ajouté à un élément simple. Dans cette analyse, on remonte donc du complexe au simple et de la réalité visible, le corps physique, aux réalités invisibles et purement pensées qui fondent sa réalité. La hiérarchie et la genèse des réalités s’établissent en fonction de leur degré de complexité ou de simplicité. Le complexe procède du simple par additions d’éléments qui, telles les dimensions spatiales, matérialisent la simplicité originelle. C’est pourquoi la remontée vers l’incorporel et l’intelligible s’effectue en retranchant ces additions matérialisantes. Cette remontée a donc un aspect négatif, la soustraction de ces additions, et un aspect positif, l’intuition des réalités simples. Cette méthode permet de s’élever d’un plan ontologique inférieur aux plans ontologiques supérieurs, en une progression hiérarchique.

Dès les premiers siècles de l’ère chrétienne, chez des auteurs païens (Albinus, Celse, Maxime de Tyr) et chrétiens (Clément d’Alexandrie), on trouve une théorie systématisée des méthodes théologiques qui intègre cette approche aphairétique. Ainsi, Albinus distingue quatre voies par lesquelles l’esprit humain peut s’élever à Dieu, c’est-à-dire, nous dit-il, à la réalité qui ne peut être saisie que par l’intellect et qui est totalement incorporelle. Ces quatre voies sont: la méthode affirmative (attribuant à Dieu des prédicats positifs), la méthode d’analogie (comparant, par exemple, Dieu au soleil), la méthode de transcendance, qui s’élève d’une qualité visible à son idée, la méthode négative enfin (qui dit de Dieu ce qu’il n’est pas). Le fait même qu’il y ait quatre voies d’accès au divin montre bien que la méthode négative ne doit pas être comprise ici comme la reconnaissance d’un Inconnaissable absolu. Bien au contraire, comme nous l’avons laissé entendre en parlant de la méthode d’abstraction, elle est une méthode rigoureuse de définition et d’intuition qui permet de passer de la connaissance sensible à la connaissance intellectuelle. Albinus et Clément d’Alexandrie se rattachent d’ailleurs tous deux explicitement à la tradition platonicienne de la méthode aphairétique. On atteint Dieu de la même manière qu’on atteint la surface en faisant abstraction de la profondeur, la ligne en faisant abstraction de la largeur, le point en faisant abstraction de l’étendue, et, ajoute Clément, la monade en retranchant sa position spatiale.

Dans cette méthode issue de Platon et codifiée aux Ier et IIe siècles, nous sommes donc en présence d’un procédé d’abstraction, qui s’exerce à l’égard du sensible et du corporel. Mais cette abstraction ne mène pas à des «abstractions». Les négations sont en fait des affirmations, parce qu’elles sont des négations de négations, ou le retranchement d’une soustraction. Les abstractions peuvent donc conduire à l’intuition intellectuelle d’une plénitude concrète, le vrai concret étant l’incorporel et l’intelligible. Dans la perspective platonicienne, la simplicité, l’incorporéité, l’intelligible sont doués d’une plénitude d’être, à laquelle on ne peut rien ajouter. Toutes les additions qui viennent la déterminer, la matérialiser, la diversifier sont en fait des dégradations, des diminutions et des négations. C’est ce que Plotin laisse entendre lorsqu’il affirme que l’homme qui nie sa propre individualité ne s’amoindrit pas, mais au contraire s’agrandit aux dimensions de la réalité universelle, c’est-à-dire intelligible. Tel est aussi le thème qu’on retrouvera dans la fameuse formule de Spinoza: «Determinatio negatio est. » Toute forme particulière, toute détermination est une négation, parce que la plénitude de l’être est infinie. La théorie traditionnelle de la théologie négative, dès ses origines platoniciennes, porte en germe l’idée d’une puissance infinie de l’être.

Cette méthode aphairétique n’a donc rien d’irrationnel. Méthode philosophique et mathématique, elle a seulement pour fin de faire progresser la pensée de la connaissance sensible à la connaissance intellectuelle des principes simples, le point, la monade, l’être, l’intellect. Cette méthode aphairétique permet de penser l’objet qu’elle atteint. Elle est même, par excellence, l’exercice de la pensée, puisque la pensée consiste à isoler l’essence et la forme des choses.

De l’impossibilité de penser à l’impossibilité de parler

À la méthode aphairétique, qui est, par excellence, une méthode intellectuelle destinée à parvenir à l’intuition de la réalité intelligible, se superpose, à partir de Plotin, une autre méthode, aphairétique elle aussi, mais qui est de caractère en quelque sorte transintellectuel, et qui deviendra de plus en plus radicale chez les néoplatoniciens postérieurs et chez Damascius.

Pour Plotin, en effet, l’Être premier, la Pensée première, n’ont pas leur fondement en eux-mêmes, mais ils se fondent dans un principe qui les transcende. En soi, ce mouvement de la pensée plotinienne est conforme à celui de la pensée de Platon qui admet une Idée du Bien comme fondement de l’intelligibilité des Idées, Idée du Bien qui est au-delà de l’ousia . Mais, à la différence de Platon, Plotin s’interroge avec précision sur la possibilité que nous avons de connaître ce principe transcendant. Parce qu’il transcende l’être et la pensée, il n’est ni «être», ni «pensée». Nous retrouvons ici la méthode aphairétique: Plotin nous dit que «si on ajoutait quelque chose (au Principe), on le diminuerait par cette addition, lui qui n’a besoin de rien.» Toute détermination et tout prédicat, ici encore, est une soustraction et une négation par rapport à la positivité transcendante. L’opération d’abstraction est donc en fait l’affirmation de cette positivité. Seulement, la situation est maintenant différente. La méthode aphairétique, qui conduisait au Dieu d’Albinus par exemple, permettait de penser un Dieu qui était lui-même Pensée. Elle permettait une intuition de son objet. Maintenant, il s’agit d’un principe qui transcende la pensée. La méthode aphairétique ne permet donc plus de penser son objet, elle ne permet même pas de le dire , elle permet seulement d’en parler . On peut parler du Bien ou de l’Un ou du principe transcendant, parce qu’il est possible par le discours rationnel de poser la nécessité, rationnelle elle aussi, d’un tel principe et de dire ce qu’il n’est pas. Mais on ne peut penser ce principe, on ne peut en avoir l’intuition, précisément parce qu’il n’est pas de l’ordre de la pensée. La méthode aphairétique perd ainsi une partie de son sens, dans la mesure où elle était une méthode de connaissance, conduisant à une intuition. Dans cette perspective, on peut tout au plus postuler la possibilité d’une saisie non intellectuelle, disons: d’une expérience mystique du principe; nous reviendrons sur ce point.

L’évolution ultérieure du néoplatonisme, de Proclus à Damascius, montre bien toute la signification de cette transformation. Chez Proclus, d’une manière très caractéristique, la notion d’apophasis prend le pas sur celle d’aphairesis. Mais c’est surtout chez Damascius que la méthode négative devient la plus radicale. Damascius a su admirablement exprimer le paradoxe que représente l’affirmation par la pensée humaine d’un principe absolu, transcendant la pensée, d’un principe du tout, c’est-à-dire de la totalité du concevable. Ce principe en effet ne peut être hors du tout, car il ne serait plus principe, n’ayant plus aucun rapport avec le tout, et il ne peut être avec le tout et dans le tout, car il ne pourrait plus être principe, étant confondu avec son effet. Il faut pourtant postuler un principe transcendant du tout, mais on ne peut rien dire à son sujet. Plotin disait que l’on ne peut penser le principe, mais que l’on peut en parler. Damascius, au contraire, déclare que l’on ne peut parler du principe; on peut seulement dire que l’on ne peut en parler: «Nous démontrons notre ignorance et notre impossibilité de parler à son sujet (aphasia ).» Damascius analyse avec une lucidité parfaite les apories de l’inconnaissable: il est également impossible de dire que le principe est inconnaissable et qu’il est connaissable. Nous ne parlons pas du principe; nous ne faisons que décrire l’état subjectif dans lequel nous sommes: «Notre ignorance à son sujet est complète et nous ne le connaissons ni comme connaissable ni comme inconnaissable».

Apophatisme et christianisme

À partir du IVe siècle, tout spécialement avec Grégoire de Nysse, la théologie négative devient une pièce maîtresse de la théologie chrétienne. Vers la fin du Ve siècle, un groupe d’écrits, que leur auteur anonyme a voulu mettre sous le patronage de Denys l’Aréopagite, expose avec beaucoup de détails, notamment dans l’ouvrage intitulé Théologie mystique , la voie apophatique d’accès au principe de toutes choses. Sous ce pseudonyme prestigieux, ces écrits jouèrent un rôle capital dans le Moyen Âge latin; et, grâce à eux, des théologiens scolastiques, comme Thomas d’Aquin, pratiquèrent à leur tour, avec certaines corrections, la théologie négative. La tradition continua notamment avec des maîtres spirituels ou des mystiques comme Nicolas de Cues, Jean de la Croix, Angelus Silesius.

Certains théologiens ont pensé que la théologie négative chrétienne est essentiellement différente de la théologie négative platonicienne. Pour eux, seule la notion chrétienne de création peut fonder la vraie théologie négative. Si Dieu a créé l’homme par un acte libre et gratuit de sa volonté, il y a un abîme infranchissable entre le Créateur et sa créature. Dieu est inconnaissable absolument, par sa nature même, et seul un nouvel acte libre et gratuit de sa volonté a permis à l’homme de le connaître: la Révélation, qui s’est achevée dans l’incarnation du Verbe divin.

Il est en effet possible, après une longue élaboration, plus que millénaire, de concevoir une théologie de ce genre dans laquelle l’abîme entre Créateur et créature appelle à la fois une théologie apophatique, qui défend l’absolue transcendance de Dieu, et une théologie de l’Incarnation, qui assure que Dieu ne peut être connu que par la médiation du Verbe incarné. Mais, historiquement, ce système ne semble pas avoir été élaboré d’une manière consciente. Il faut bien constater que les théologiens chrétiens de l’époque patristique ont introduit l’apophatisme dans la théologie chrétienne en utilisant exactement les argumentations et le vocabulaire technique des néoplatoniciens. Notamment l’influence exercée par le philosophe néoplatonicien Proclus sur les écrits du Pseudo-Denys est indiscutable. D’autre part, il est difficile de prétendre que l’apophatisme chrétien est plus radical que l’apophatisme platonicien. On ne peut écrire avec V. Lossky: «Pour un philosophe de tradition platonicienne, même quand il parle de l’union extatique comme seule voie pour atteindre Dieu, la nature divine est tout de même un objet, quelque chose de positivement définissable, le hen , une nature dont l’incognoscibilité réside surtout dans le fait de la débilité de notre entendement lié au multiple.» L’expression «positivement définissable» pourrait valoir pour la première méthode apophatique que nous avons distinguée, mais certainement pas pour celle des néoplatoniciens postérieurs, de Plotin à Damascius. S’il est un point sur lequel ils insistent en effet, c’est bien sur le fait que l’absolu ne peut être un objet.

Apophatisme, langage et mystique

Nous retrouvons dans le Tractatus logico-philosophicus de Wittgenstein des problèmes analogues à ceux que Damascius avait posés. Mais l’opposition n’est plus cette fois entre le tout et le principe, mais entre le langage ou le monde et son sens: «La proposition est capable de représenter la réalité, écrit-il, mais elle n’est pas capable de représenter ce qu’elle doit avoir de commun avec la réalité pour pouvoir représenter la réalité, à savoir la forme logique. Pour pouvoir représenter la forme logique, il nous faudrait, avec la proposition, nous situer à l’extérieur de la logique, c’est-à-dire à l’extérieur du monde» (4. 12). Nous ne pouvons sortir du langage (qui pour nous est le tout) pour pouvoir exprimer le fait que le langage exprime quelque chose: «Ce qui s’exprime dans le langage, nous ne pouvons l’exprimer par le langage» (4. 121). On retrouve donc ici un apophatisme radical: il y a un indicible, un inexprimable et même, jusqu’à un certain point, un impensable, s’il est vrai que pour l’auteur le pensable s’identifie au représentable. Et pourtant, fidèle en cela à la tradition apophatique, Wittgenstein n’hésite pas à affirmer que cet indicible se montre. La proposition «montre» la forme logique de la réalité (4. 121); le fait que les propositions logiques soient des tautologies montre la logique du monde (6. 12). Finalement, ce qui se montre n’est pas de l’ordre du discours logique, mais de l’ordre « mystique »: «Il y a en tout cas un inexprimable; il se montre; c’est cela le mystique» (6. 522). Le «mystique» semble correspondre, pour Wittgenstein, à une plénitude existentielle et vécue qui échappe à toute expression: «Le mystique, ce n’est pas: comment est le monde, mais: le fait qu’il soit» (6. 44). Suivant ici encore la tradition apophatique, le logicien invite au silence au sujet de cet indicible «qui se montre»: «Sur ce dont on ne peut parler, il faut se taire» (7). Le langage a donc un sens, le monde a donc un sens, et pourtant ce sens se trouve hors du langage, hors du monde (6. 41). Le sens du dicible est indicible. Le langage ne peut exprimer ce qui le fait langage, ni ce qui fait que le tout soit tout.

Wittgenstein rapproche donc étroitement l’«indicible» et le «mystique». Effectivement, l’on a généralement tendance à lier étroitement, sinon à confondre, méthode apophatique et expérience mystique. Il est vrai qu’elles sont très proches l’une de l’autre, parce qu’elles se rapportent à l’ineffable, mais il nous faudra pourtant les distinguer finalement. Nous avons vu, par exemple, que la méthode aphairétique conduisait en principe à une intuition intellectuelle de l’Intellect ou de l’Intelligible vers lequel elle s’élevait. Or cette intuition intellectuelle prend effectivement un certain caractère «mystique» chez Plotin ; pour lui, le fait de passer du discours rationnel à la contemplation intuitive, le fait de recevoir l’illumination de l’Intelligence divine et de penser avec elle, est considéré comme une expérience exceptionnelle, qu’il décrit en des termes empruntés à la description de la folie amoureuse dans le Phèdre ou le Banquet de Platon, ce qui trahit un état analogue à ce que nous appelons l’expérience mystique. D’autre part, si la méthode aphairétique ne nous permet pas de penser le principe qui est au-delà de l’Intelligence divine et qui la fonde, elle postule en quelque sorte la possibilité d’un contact, d’une vision ou d’une union non intellectuelle qui fonde la possibilité de parler du principe. Cette expérience prolongera alors en quelque sorte celle dont nous venons de parler: l’union avec l’Intelligence divine. Unie à l’Intelligence divine, l’âme humaine participe à la vie de celle-ci. Or l’Intelligence divine a une double activité: d’une part, elle se pense elle-même et les idées qui sont en elle, elle est Pensée de la Pensée; mais, d’autre part, elle est en un état d’union non intellectuelle, dans un contact simple avec le principe dont elle procède. L’âme humaine peut, non seulement penser avec l’Intelligence divine, mais aussi coïncider avec le mouvement d’extase de l’Intelligence vers le Principe. On voit donc que l’expérience mystique plotinienne est une sorte d’oscillation entre l’intuition intellectuelle de la Pensée qui se pense et l’extase amoureuse de la Pensée qui se perd dans son principe. Mais précisément il faut bien souligner que Plotin distingue radicalement entre l’extase mystique et les méthodes théologiques. Celles-ci, qu’il évoque dans les termes précis du vocabulaire traditionnel platonicien, ne sont pour lui qu’une étude (mathema ) préalable; elles ne sont absolument pas l’union ou la vision elle-même. La méthode négative est d’ordre rationnel, et l’expérience unitive est transrationnelle. Ces deux démarches sont radicalement distinctes, mais étroitement unies: c’est l’expérience mystique qui fonde la théologie négative et non l’inverse. Comme le dit Plotin, pour pouvoir parler de la réalité que nous ne pouvons penser, nous devons la «posséder». Cette possession, cette saisie obscure de l’indicible nous permet de dire qu’il y a un indicible et de parler de lui sous forme négative; mais en même temps elle nous interdit de parler de lui autrement que sous forme négative.

Mais ce n’est pas l’accumulation des négations qui pourra procurer l’expérience. Plotin a bien senti l’abîme qui sépare les objets immanents à l’intellect humain et la vie propre et transcendante de l’intellect divin. Le jeu des négations ne peut franchir cet abîme, pas plus qu’il ne peut franchir l’abîme entre rationalité et existence: «Le fait que le monde soit, c’est là le mystique.» L’accumulation des négations peut tout au plus provoquer dans l’âme un vide qui la prédispose à l’expérience. Et elle peut servir, après l’expérience, à exprimer l’échec de toute description de l’indicible. Tel est probablement le sens de l’extraordinaire Lettre de Lord Chandos dans laquelle Hugo von Hofmannsthal raconte comment celui-ci, éprouvant l’intense présence du mystère de l’existence dans le moindre objet, a complètement perdu la faculté de décrire quoi que ce soit: «Quand cet étrange enchantement m’abandonne, je ne sais plus rien dire à son sujet.» C’est bien le silence recommandé par Wittgenstein à la fin de son Tractatus . Devant l’énigme de l’existence, le langage atteint ses limites infranchissables.

Théologie négative synonyme de théologie apophatique.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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